La proportionnelle est-elle plus démocratique ?

Par Jacques LECLERC

ll y a un débat depuis plusieurs années sur les inconvénients du mode de scrutin aux élections législatives : majoritaire uninominal à 2 tours, il donnerait un avantage exorbitant en nombre de sièges au parti ou à la coalition arrivant en tête, au détriment des autres partis, laminés et avec un nombre de sièges sans aucun rapport avec leur score en voix. C’est ainsi que le Rassemblement Bleu marine n’a obtenu que 8 sièges aux élections de juin 2017, soit 1,38% des 577 totaux, alors qu’il a représenté au premier tour 13,20% des suffrages. 10 fois moins. Inversement, LREM et le MODEM ont eu 350 députés, soit plus de 65%, alors qu’ils ont représenté 32,3% des suffrages au premier tour. Soit un doublement.

Il y a donc un problème de représentation indéniable avec une prime à la « majorité présidentielle » qui dépasse de loin la majorité absolue requise (289 sièges), au détriment des autres formations, une injustice flagrante.

Cette situation a en outre plusieurs conséquences : une majorité de « godillots », qui votent sans trop discuter les projets de lois pour mettre en oeuvre dans les meilleurs délais le « programme de réformes du président » (?) avec le risque de promulguer des textes mal ficelés, incomplets et dénués de la légitimité nécessaire qui résulte d’un débat soutenu et contradictoire, avec le risque que celui-ci se déroule dans la rue… Ou inversement, une armée de frondeurs qui, opposés à la ligne présidentielle, torpillent systématiquement les mesures proposées en médiatisant leur désaccord, comme on l’a vu lors de la précédente législature.

D’où l’idée, souvent évoquée, de revenir à un scrutin proportionnel qui donne 30% des sièges à ceux qui réalisent 30% des voix et 13% à ceux qui obtiennent 13%. Toutes les tendances de l’opinion seraient ainsi représentées dans l’hémicycle parlementaire, rapatriant de ce fait les débats à l’intérieur de celui-ci, renforçant ainsi la démocratie. Et la justice. Est-ce si sûr ?

Les électeurs avant les partis

C’est en effet faire peu de cas des raisons qui ont justifié le remplacement du scrutin proportionnel par un scrutin majoritaire en 1958. En effet, la France a expérimenté la proportionnelle sous les 3ème et 4ème républiques et l’on en constate aujourd’hui, après les élections au Budenstag allemand, les inconvénients, car aucune majorité et aucun gouvernement ne s’est dégagé nettement du scrutin : c’est donc à la suite de négociations entre partis, et notamment avec les Verts et le FDP libéral que le chancelier sera choisi, au SPD ou à la CDU.

Ce sont donc deux partis, qui représentent respectivement 14,8% et 11,5% des voix, qui décideront du type d’alliance, du choix du gouvernement et donc de la politique qui sera menée selon qu’il choisira l’alliance avec la gauche ou avec la droite qui ont recueilli plus de 24% chacune ! C’est ce qui a été constaté sous la IVè république où le parti charnière radical faisait et défaisait les majorités en fonction de ses humeurs ou de ses conflits de personne internes. Bonjour la démocratie !

Il y a donc une différence fondamentale entre scrutin majoritaire et proportionnel : dans le premier cas, ce sont les électeurs qui décident qui sera majoritaire, dans le second ce sont les partis ou même plutôt leurs états-majors… Les électeurs ne sachant pas le soir des élections quelle politique sera mise en oeuvre. Ils sont dépossédés de leur vote. Or la démocratie est faite pour les électeurs et non pour les partis.

Car l’assemblée nationale n’a pas seulement une fonction de représentation de l’opinion, ce n’est pas une « convention citoyenne », constituée selon un panel représentatif des opinions. Elle a une fonction organique dans la vie politique, elle décide de choix politiques au travers des lois, du budget, des commissions d’enquête… et en assume la responsabilité. C’est pourquoi la prime au parti le mieux placé fait sens en permettant de dégager une majorité. Si le RN est sous représenté c’est aussi parce qu’il a refusé toute alliance préélectorale qui lui aurait permis de gagner des sièges supplémentaires plus en conformité avec son score électoral. Le scrutin majoritaire oblige les partis à se regrouper et à annoncer la couleur AVANT l’élection, à dire à l’avance ce qu’ils feront s’ils sont majoritaires et avec qui. Alors que la proportionnelle ne crée aucune obligation à cet égard.