L'omerta publique, une tradition française

Par Jean Guicheteau

La polémique sur la non communication des noms des prévenus dans le meurtre de Crépol nous ramène à une tradition propre à la France de nos élites politiques et judiciaires : une forme d'omerta relevant d'une méfiance et d'une certaine distance vis à vis du peuple, avec cette idée "qu'on ne doit pas tout lui dire" ne vise pas seulement à protéger la vie privée des personnes. Elle a pour but de "protéger" les Francais, mais sans doute aussi les dirigeants.

Ce comportement a plusieurs sources : d'abord l'idée que le chef doit communiquer le moins possible, se réserver des secrets non partagés, conserver une part de mystère, constitutive de son autorité, c'est la conception du commandement exprimée par de Gaulle, qu'on peut comprendre dans le domaine militaire, mais est complètement incongrue dans la vie civile démocratique.

Ensuite l'idée qu'il ne faut pas "brutaliser" le peuple, la vérité étant souvent traumatisante, qu'il faut le ménager car il ne comprendrait pas et réagirait "mal", on le considère alors comme un enfant et non comme un adulte. Ainsi les sondages sont interdits la veille du scrutin, ou plutôt leur publication et diffusion, car les dirigeants politiques continuent à commander des enquêtes d'opinion pour eux-mêmes.

On a constaté cette omerta dans les scandales nombreux de la Vè république depuis la Garantie Foncière jusqu'à l'affaire Benalla en passant par l'affaire Boulin, le Rainbow Warrior, le sang contaminé, l'amiante, la vache folle, Vibra choc, le Crédit Lyonnais, l'affaire Cahuzac... Il s'agit dans ce cas de taire, soit des fraudes ou imprudences de personnes liées au pouvoir, soit de dissimuler à l'opinion l'inaction du pouvoir face à un problème de santé publique.

Enfin l'omerta est utilisée pour banaliser des faits qui contredisent le discours ambiant porté par les partis depuis des années comme on peut le constater pour l'immigration et l'insécurité, pour lesquels il est très difficile d'obtenir des chiffres officiels. Dans ce cas il s'agit tout simplement de protéger les responsables contre les réactions de l'opinion qui les obligeraient à prendre des mesures restrictives et difficiles qu'ils ne sont pas prêts assumer, et à reconnaître qu'ils se sont trompés.