Comment utiliser la transition écologique à bon escient

Par Jean Guicheteau

C'est un fait avéré : nous ne pourrons pas, en France, ni même en Europe, concurrencer les GAFAM américains ou chinois, c'est trop tard, il fallait le faire il y a 20 ans. Nous ne pourrons pas non plus produire des éoliennes ou des panneaux solaires en France, mais devrons en importer en masse pour assurer le mix énergétique.

Même si la France ne représente que 1% des émissions de CO2, nous devrions néanmoins basculer franchement vers une économie décarbonée et une économie neutre au plan écologique. Pourquoi ? Parce que nous aurions alors une chance d'anticiper pour de ne pas rater le prochain train de l'industrie future qui ne pourra plus fonctionner comme aujourd'hui, rendant les technologies actuelles complètement obsolètes. Même chose pour l'agriculture et l'agro-alimentaire où les combats d'arrière-garde contre le Bio nous privent de la possibilité de disposer d'un avantage comparatif par rapport aux pays qui devront à terme abandonner leurs méthodes de production intensives, qui font peut être leur fortune aujourd'hui, mais les acculeront à la ruine demain.

L'économie a besoin pour fonctionner de 2 ressources : de l'énergie et de l'information. C'est donc dans ces 2 domaines que nous devrions rechercher un avantage comparatif en approfondissant les techniques d'avenir qui deviendront incontournables dans 10 ou 20 ans et que nous pourrons vendre au monde entier si nous avons su les déployer et les tester d'abord chez nous. Déjà, suite à la guerre en Ukraine et aux tensions consécutives sur l'approvisionnement de gaz, on a regretté d'avoir laissé de côté l'énergie nucléaire et des centrales à l'arrêt pour réparation. Nous ne pouvons pas reproduire ce comportement par défaitisme, défaut d'imagination, manque d'audace.

Car aujourd'hui, il existe des technologies prometteuses qui permettront d'améliorer considérablement le bilan carbone et écologique (car il n'y a pas que la CO2) tout en produisant le nécessaire à coût raisonnable et c'est ce que nous devons développer. Citons par exemple :

  • des batterie dites "solides", plus performantes que les actuelles avec une autonomie de 1000 kms; SAFT en est le leader dans la recherche et l'expérimentation; ou des batteries à sodium-ion qui ne requièrent pas d'utiliser des métaux rares;
  • l'hydrogène vert, produit à partir des éoliennes (qui fonctionnent sans combustible, sans eau, et avec un rendement de 100%) pour les autres formes de transport; du carburant de synthèse pourrait être produit par réaction catalytique du CO2 prélevé dans l'atmosphère et électrolyse de l'eau et faire fonctionner les vieilles voitures avec 70% d'émissions en moins
  • produire aussi de l'acier par électrolyse, beaucoup moins polluant;
  • réaliser la captation du carbone directement dans l'air ambiant;
  • développer les réacteurs à neutrons rapides ou surgénérateurs (en relançant le projet ASTRID arrêté inconsidérément par Macron) qui permet d'utiliser 90% de l'uranium contre 5% actuellement,
  • remplacer le plastique par un matériau de substitution biodégradable;

Pas seulement le CO2

Le problème de l'eau va aussi devenir prégnant dans le monde et par conséquent toutes les innovations agricoles qui permettront de produire avec le minimum d'intrant seront les bienvenues : ainsi certains agriculteurs remplacent déjà le maïs par de la moutarde ou du lin. Les bassines ne sont dans ce cadre acceptables qu'à condition de prélever le surplus d'eau obtenu durant les crues et de transformer profondément le modèle agricole dominant, extrêmement polluant.

Dans l'informatique, les limites du système binaire vont apparaître bientôt et nous devrions investir dans l'ordinateur quantique que des chercheurs français ont déjà commencé à tester.

Utiliser les super-profits

Comment procéder ? Doit-on taxer davantage ? Surtout pas ! Il ne faut pas compter sur l’État et les hommes politiques pour piloter ces changements majeurs, sous peine de rester embourbés dans la bureaucratie. Il faut bien comprendre en effet que ces recherches et investissements durables ne doivent pas être réalisés EN PLUS des investissements carbonés mais à LA PLACE de ceux-ci. Il doit y avoir un effet de substitution au fur et à mesure de l'amortissement et du remplacement des anciens équipements qu'on ne doit plus remplacer tels quels. La France investit en effet environ 500 Mds par an tout confondu (collectivités publiques, entreprises et particuliers).

On doit pouvoir dégager 10% par an pour cette transition. Le seul problème est le rythme de ces investissements qui devra être accéléré, puisqu'il faudra faire en 15 ans ce qui en aurait demandé 30. Mais on peut solliciter les énergéticiens, comme Total, pour réinvestir en priorité leurs super-profits dans l'énergie décarbonée, ce qu'ils font déjà, mais pas suffisamment : par exemple, nous devrons construire de nouvelles centrales nucléaires type ERP 2ème génération; il n'est pas sûr qu'EDF ait les moyens financiers et humains de réaliser l'ensemble du programme dans les délais requis. On pourrait ainsi demander à Total, ou à d'autres gros opérateurs privés, par un bail emphytéotique sur 30 ans, de financer, construire et gérer une partie de ce nouveau parc avec retour en propriété à EDF à l'issue de cette période.