L'Allemagne et nous : la guerre de l'énergie

Par Jean Guicheteau

C'est un fait désormais établi : notre capacité productive, notre produit intérieur, et par conséquent notre niveau de vie, dépendent en grande partie de la disponibilité d'une énergie abondante et relativement bon marché. Toute dégradation de l'offre de ce côté ne peut que nuire à la prospérité d'un pays; aujourd'hui, nous devons basculer vers une offre sans CO2. Or la France, grâce à sa capacité de production nucléaire (70% de l'électrique), était très bien placée pour bénéficier d'un avantage comparatif face à ses concurrents européens et mondiaux, en complétant cette offre par des ENR (gaz, 7% de l'électrique).

Cela n'a pas échappé à l'Allemagne, qui s'est tiré une balle dans le pied après Fukushima en décidant de fermer ses centrales nucléaires et ramener son parc de 36 à 7 (11% de l'électrique). C'était son droit et sa souveraineté, mais elle ne pouvait contraindre les autres à suivre sa politique aventureuse fondée exclusivement sur les renouvelables et le gaz. C'est pourtant ce qui s'est passé, mais pas de façon directe, comme toujours : elle a utilisé pour cela un vecteur de propagande et d'action désormais bien rodé et à sa disposition : l'Union européenne et notamment sa Commission avec le soutien d'autres pays européens situés dans son orbite (Pays-Bas, Luxembourg, Autriche...), hostiles au nucléaire et chargés d'aboyer à sa place...

Une taxonomie contestable

Il y eu d'abord le débat sur la taxonomie, soit le classement des activités économiques en fonction de leurs émissions de CO2 et de leurs conséquences sur l’environnement avec un financement plus facile pour les énergies propres. Au départ, le nucléaire était considéré au même plan que le gaz, c'est à dire polluant. La France a dû se battre contre l'Allemagne et ses partenaires, en rameutant d'autres pays comme la Roumanie, la République tchèque ou la Pologne comme soutiens. L'acte délégué du 2 février a mis sur le même plan (!) le nucléaire et le gaz comme "énergies intermédiaires" facilitant le passage aux renouvelables. Donc une décision faussement équilibrée, (nucléaire 6 grCO2/KWh contre gaz 243).

Des tarifs complètement déconnectés des coûts de production

Deuxième anicroche, plus grave : le calcul du prix européen de l'énergie. On a pour cela proposé d'aligner ce prix sur le coût marginal de la dernière centrale au gaz mise en service dans le réseau européen, mais ce prix a explosé avec celui du gaz, surtout depuis la guerre en Ukraine ! La tarification au coût marginal est en effet bénéfique au consommateur tant qu'il y a des capacités de production disponibles mais pas dans le cas inverse ! Dans ce cas, c'est le coût moyen qui doit s'appliquer, mais cela reviendrait à donner un net avantage aux industriels Français par rapport aux allemands car le coût moyen en France y est nettement inférieur. Un argument avancé consiste à favoriser les centrales à gaz qui sinon ne seraient pas mises en service car déficitaires, privant l'Europe de cette fourniture indispensable. Mais c'est confondre le tout et la partie : rien n'empêche les opérateurs de payer plus cher l'électricité marginale issue du gaz, mais en délayant ce surcoût dans un prix forfaitaire facturé au consommateur. C'est l'application du mix énergétique à la tarification. Or en France, ce surcoût ne devrait concerner que 7% du prix (correspondant à la part du gaz dans la production électrique).

Nous devons sortir de cet accord européen qui ne correspond pas à notre situation énergétique, diffrente des autres pays et de l'Allemagne ou le renégocier complètement car il est contraire à nos intérêts industriels.