Etat de droit ou abus de droit ?

Par Jean Guicheteau

Nous vivons dans un "état de droit", c'est à dire qu'aucun comportement ne peut être sanctionné si cela n'a pas été prévu par une loi votée antérieurement et appliquée par un juge indépendant des pouvoirs exécutif et législatif. Ce principe n'existe que dans les démocraties, nous devons nous en réjouir et le protéger ; dans les dictatures, les lois pénales sont souvent rétroactives et la justice n'est pas indépendante car le pouvoir l'utilise pour briser toute opposition et se maintenir, comme en Russie par exemple.

Néanmoins, cet état de droit est menacé par l'application ABUSIVE qui peut en être faite en détournant et instrumentalisant ces règles protectrices au profit d'une personne ou d'une catégorie. Nous en avons deux exemples dans le domaine de la fiscalité et de l'immigration. En effet, pour qu'il puisse fonctionner correctement, cet état de droit suppose un minimum de bonne foi des personnes concernées. Ainsi l'évasion fiscale est acceptable quand elle utilise les possibilités de déduction et de franchises prévues dans le cadre d'une activité pour soutenir précisément cette activité (construction immobilière par ex.). Mais elle n'est pas tolérable quand elle permet, par des stratégies de contournement juridique, d'échapper complètement à l'impôt en empêchant l'application "sincère" de la loi. C'est ainsi qu'on a vu se créer des filières complètes de banquiers, d'avocats, de conseillers et de prête-noms en lien avec des paradis fiscaux (Luxembourg, Singapour, Panama, Malte, îles Caïman...) et la constitution de sociétés fictives installées dans des états "offshore" afin de permettre une exonération complète et une dissimulation de fonds acquis souvent par la corruption et le crime organisé. De même, certains sociétés multinationales sur-facturent les filiales installées en France par exemple pour échapper à l'impôt sur les bénéfices en réduisant ceux-ci à zéro ou presque . Voir le dernier livre du juge Van Ruymbeke à ce sujet.

Le même phénomène se produit pour l'immigration en Europe malgré les mesures restrictives et le refus constant des populations à accueillir davantage : des réseaux de passeurs, d'ONG et d'avocats spécialisés là-aussi, utilisent les failles de la législation, traquent le moindre vice de forme et abusent des multiples voies de recours pour permettre à des personnes entrées ou demeurées illégalement de se maintenir indéfiniment. L'immigration de travail est fermée, on se redéploiera alors vers les failles que constituent les statuts de réfugiés ou de "mineurs isolés".

Ces dérives mettent en péril l'état de droit, car elles insinuent l'idée que celui-ci est malléable à loisir, qu'on peut le détourner contre la volonté nationale, c'est ce qu'on appelle "l'abus de droit". Il y a tout un récit appris par coeur et servi aux autorités, aussi bien par les immigrés que par les évadés du fisc. La lettre de la loi est respectée, mais son esprit est violé en permanence.

Comment réagir ? Justement utiliser cette notion d'abus de droit quand manifestement le droit n'est plus qu'un moyen pour certains d'échapper à l'application "sincère" de celui-ci. Il faut étendre cette notion aux cas d'évasion fiscale d'apparence légale, mais relevant d'une intention frauduleuse, même chose pour l'immigration irrégulière.

Les services fiscaux, administratifs et les juges ont le pouvoir de requalifier les faits : par exemple recalculer à la baisse les prix de cession facturés abusivement à une filiale française afin de réduire la base taxable en France. C'est ce qui a été fait récemment pour Mc Donald's. Pour l'immigration, revenir sur le principe de l'examen individuel systématique du dossier, qui engorge les services, et décréter que les personnes ayant recours à ces méthodes "déloyales" ne seront jamais régularisées.

Il faut aussi SIMPLIFIER les règles, notamment fiscales en supprimant toutes ces niches qui ne servent à rien (+ de 400), sinon à nourrir une armée de conseillers fiscaux et de fonctionnaires chargés d'instruire les dossiers.