La "harangue de Baudot" 50 ans après...

Par Jacques Baudeau

Avec les râtés de la justice, la délinquance violente qui prolifère en France et la complaisance de certains juges, la "harangue de BAUDOT", prononcée en 1974, qui semblait tombée dans l'oubli, refait surface comme acte fondateur, non seulement du syndicat de la Magistrature, mais aussi d'une certaine conception de la justice encore en vigueur et qui serait chargée de "corriger" un ordre social injuste. Rappelons que ce juge, substitut du Procureur, s'adressant aux jeunes magistrats sortant de l'école, leur recommandait d'adopter l'attitude suivante : "Ayez un préjugé favorable pour la femme contre le mari, pour l’enfant contre le père, pour le débiteur contre le créancier, pour l’ouvrier contre le patron, pour l’écrasé contre la compagnie d’assurances de l’écraseur, pour le malade contre la Sécurité sociale, pour le voleur contre la police, pour le plaideur contre la justice."

Ce n'est pas tant la phrase en elle-même qui fait scandale, que son caractère systématique, le parti-pris assumé de juger toujours en faveur des uns et en défaveur des autres. Au mépris du principe le plus élémentaire de la justice qui veut qu'on juge d'abord un acte et non un statut social. Car au lieu de lire Marx, Baudot aurait plutôt du s'inspirer de la Bible, qui dans le Levitique prescrit de ne point "commettre d'iniquité dans ses jugements : de ne point avoir égard à la personne du pauvre et ne point favoriser la personne du grand, mais juger son prochain selon la justice."

Quel patron, quel mari, quel créancier, quelle compagnie d'assurance pourrait avoir la moindre confiance dans une telle "justice" ?

Il faut dire que le terrain avait été préparé, puisque la même année Denis LANGLOIS, un avocat "militant", faisait paraître son livre "Les dossiers noirs de la justice française" qui mettait en exergue des exemples de jugements contestables où les puissants prévaricateurs s'en tiraient avec une simple amende, alors que de pauvres types écopaient de 4 ans de prison ferme pour le vol de 10 bouteilles, vides qui plus est.

Il est toujours facile de manipuler les affaires judiciaires et de susciter indignation et émotion, mais beaucoup plus difficile de porter un jugement "en conscience", quand on n'a pas eu effectivement accès au dossier. Face à cette "justice de classe", la tentation était grande de rétablir la "justice sociale" dans l'autre sens, comme on retourne un gant, mais en provoquant une nouvelle injustice et surtout en instaurant un désordre.

Les délinquants, des révolutionnaires qui s'ignorent

Car la délinquance est avant tout un défi lancé à l'ordre établi, et les révolutionnaires comme Lénine ne s'y sont pas trompés, qui considéraient les voyous comme les meilleurs révolutionnaires en actes, de même que les Situationnistes de mai 68, pleins de tendresse pour les "blousons noirs" de l'époque. Or dans la balance de la justice, il ne faut jamais oublier une chose : le juge répare certes un dommage au profit d'une victime, mais il sanctionne en même temps un comportement, il punit un coupable, et cette punition a valeur d'exemple pour les autres et pour la société. Qu'il le veuille ou non, le juge ne traite pas seulement des cas d'espèce ; en jugeant -ou en refusant de le faire- il envoie un message à la société, à caractère dissuasif, et c'est ce qu'on a pu constater depuis 20 ans dans les affaires de corruption politique.

Autrefois, les puissants, les riches et les notables étaient moins sévèrement condamnés mais cela avait un sens, car ils ont en principe moins intérêt au désordre que les "sans-grade". Dans le film "Le Pacha", Jean GABIN, qui joue le rôle d'un commissaire de police, s'adresse à un truand de la façon suivante : "L'un de nous deux dézingue l'autre : toi, on te raccourcit, moi, on me félicite. Je sais c'est injuste, parce que c'est injuste ! Mais qu'est-ce que tu veux, tu as contre toi 40 ans de bons et loyaux services et une vie exemplaire."

Tout est dit, et pour paraphraser CHURCHILL pendant la guerre, on pourrait affirmer des juges rouges qu'ils ont voulu le désordre pour éviter l'injustice, mais qu'on a eu ET le désordre ET l'injustice.