Sommes-nous vraiment payés en fonction de notre mérite ?
Par Jean Guicheteau
La polémique sur les inégalités de revenus et de salaires est une constante et nous en avons encore eu des exemples récemment : pendant la crise sanitaire, on a déploré que les travailleurs "de première ligne", livreurs, aide-soignants, éboueurs, techniciens de maintenance, ne soient pas dignement rémunérés à hauteur de leur mérite et des services qu'ils ont rendu à la population pendant cette période; inversement, les salaires des PDG du Cac 40 font régulièrement l'objet de critiques féroces. MACRON encore récemment l'a fait, car ils gagnent souvent 100 fois plus que l'employé de base de leur entreprise. Leur mérite serait-il 100 fois supérieur ? Ce serait absurde et scandaleux de le penser.
Ce mérite supposé des élites, qui ne devraient leur bonne fortune qu'à elles-mêmes, est désormais contesté, y compris aux USA, par exemple dans l'ouvrage La tyrannie du mérite" de Michael SANDEL.
Mais notre revenu reflète-t-il vraiment notre mérite ? En fait, dans une économie de marché, avec un marché du travail "libre", le salaire ne correspond pas vraiment à notre mérite, mais plutôt à notre rareté. Ce n'est pas parce qu'il est 1000 fois plus méritant, que le PDG du CAC 40 gagne 1000 fois plus, mais parce qu'il est 1000 fois plus rare. Comme les stars du football, du tennis ou de la Formule 1, les dirigeants de très grandes entreprises ont des compétences exceptionnelles, ou supposées telles en tout cas par les actionnaires, qui justifient à leurs yeux ces rémunérations hors norme pour les attirer et éviter des erreurs de stratégie ou de gestion fatales.
Dans les fonctions plus modestes, ce principe de l'offre et de la demande joue aussi : ceux qui peuvent programmer un outil d'intelligence artificielle sont rares et donc chers, ceux qui maîtrisent le langage informatique PYTHON, qui permet d'aspirer et de gérer de grandes quantités de données (par exemple pour comparer des prix de vente) sont aussi très recherchés et bien payés. Mais ce n'est pas principalement du au mérite.
Les personnels soignants, médecins, infirmiers, aides-soignants sont devenus assez rares et devraient donc bénéficier de cet effet rareté.
On ne peut pas rémunérer les gens en fonction de leur mérite, et d'ailleurs qui déciderait de ce mérite ? Quelle autorité suprême, omni compétente, serait capable de décréter le mérite et surtout faire évoluer la grille en fonction des nouveaux métiers et besoins ? Outre le caractère éminemment subjectif de l'opération, ce serait une grave erreur économique, car ce prix du travail permet d'adapter en continu les réponses aux besoins : si une profession est très demandée, les jeunes seront incités à se former dans ses métiers, permettant de rétablir l'équilibre. Inversement, un trop plein de candidats fera baisser les salaires et dissuadera de nouveaux entrants de postuler, assainissant le marché.