Les fausses solutions à la crise politique

Par Jacques Leclerc

Aujourd'hui, la France n'a plus de majorité à l'assemblée nationale et plus de gouvernement non plus. On s'interroge sur les causes de cette situation inédite et on invente des solutions pour essayer d'en sortir : majorité à géométrie variable en fonction des textes, gouvernements de techniciens issus de la "société civile", modification du mode de scrutin (proportionnelle), démission du président (ou destitution) et nouvelle dissolution.

Mais on n'a pas identifié les causes du problème et tant qu'on n'agit pas sur les causes, on ne peut pas avoir de solution. Pour comprendre cela, comme souvent, il faut remonter aux sources.

Comment fonctionne la démocratie ?

Reprenons la genèse de la démocratie : la souveraineté appartient aux ÉLECTEURS, mais comme ils ne peuvent tous siéger dans l'hémicycle (encore qu'avec les techniques modernes de visioconférence on pourrait imaginer une "assemblée nationale virtuelle"), ils désignent 577 REPRÉSENTANTS pour le faire à leur place. Comme ces 577 députés ne peuvent tous ensemble contrôler l'application des lois par l'administration, ils désignent à leur tour et PARMI EUX, un EXÉCUTIF, chargé de veiller à l’exécution des textes, de les faire EXÉCUTER. Cet exécutif est responsable devant les autres députés et peut être à tout moment congédié par ceux-ci à une majorité. C'est la responsabilité gouvernementale. Toute autre configuration institutionnelle du genre : "l'exécutif est responsable devant le président" ne peut pas fonctionner et c'est parce qu'on a oublié ces principes qu'on est arrivé à cette situation de blocage.

Le mythe du gouvernement de "techniciens"

Un gouvernement de personnalités non politiques, des "techniciens", n'a aucune légitimité pour gouverner puisqu'elles ne sont pas issues des électeurs et de leurs représentants, qui seuls en sont détenteurs. C'est une innovation de la Vè République d'avoir institué cette pratique en nommant ministre des hauts fonctionnaires comme Delouvrier ou même premier ministre un collaborateur de De Gaulle, Pompidou. Mais çà correspondait à une conception particulière de la démocratie, puisque quand le gouvernement de celui-ci fut renversé par les parlementaires, il lui aurait dit : "vous n'êtes pas renversé puisque je vous garde", ce qui n'a aucun sens d'un point de vue institutionnel. Certes, la constitution a confié au président le pouvoir de désigner un chef de gouvernement, mais il ne peut le faire qu'en accord avec une majorité à l'assemblée nationale : il est là dans son rôle d'ARBITRE, chargé d'assurer la continuité de la nation, et il ne peut l'assumer avec toute la sérénité nécessaire qu'en se situant en dehors du jeu politique partisan. Ce qui n'est pas le cas des présidents actuels, engoncés dans la politique partisane. En effet, pour qu'un système de gouvernance fonctionne, il faut que chacun assume son rôle, qui n'est pas en concurrence avec les autres mais complémentaire.

Le mythe de la proportionnelle

La mise en œuvre d'un scrutin proportionnel n'aurait eu aucun effet sur les résultats législatifs de juin car aucun parti n'aurait eu à lui tout seul de majorité, le RN gagnant quelques sièges mais sans pouvoir atteindre, et de loin, les 289 requis. Le scrutin majoritaire implique que les partis se coalisent AVANT l'élection sur la base d'un programme que les électeurs choisissent en connaissance de cause, alors que les coalitions à partir du scrutin proportionnel de décident APRÈS l'élection, et redonnent tout le pouvoir aux chefs de partis, et on comprend pourquoi ils en sont friands, mais en dépossédant les électeurs de celui-ci.

En effet, contrairement à ce qu'on dit, l'assemblée des députés n'est pas faite pour représenter fidèlement les différentes opinions, d'ailleurs versatiles, mais pour TRANSFORMER ces opinions en textes de lois et en une politique cohérente. C'est l'aspect FONCTIONNEL de l'élection, aspect souvent oublié, mais pourtant essentiel. Un scrutin proportionnel permettrait aux partis d'aller aux élections en ordre dispersé, sans être obligés de s'associer au 2ème tour sur un candidat commun, la coalition ayant lieu après mais dans le dos des électeurs.

Le mythe du ni gauche ni droite

Aujourd'hui le blocage provient essentiellement du fait que 30% des électeurs, ceux du RN, ont été mis hors jeu (et même plus si on inclut ceux de LFI), rendant impossible la constitution d'une majorité durable. C'est donc le "en même temps" centriste qui est responsable de cette situation, sorte de 3ème force qui rejette les extrêmes sur les cotés, tout en leur conférant un poids électoral de plus en plus dominant et çà ne pourrait que s'aggraver avec la proportionnelle. Mais sans possibilité d'alternance !

Le scrutin majoritaire garde son efficacité sur ce plan, à condition de négocier avant le scrutin des coalitions de gouvernement qui incorporent ces extrêmes dans le cadre d'un programme et d'une discipline de vote.