Sommes-nous encore en démocratie ?
Par Jean Guicheteau
Face au durcissement du régime de Poutine et de celui de Xi Jinping, la France et l'occident sont fiers de représenter le camp de la démocratie et du libéralisme politique. Avec raison, certes, mais en ce qui concerne plus précisément notre pays, pouvons-nous prétendre que notre démocratie s'améliore ou devons-nous plutôt déplorer qu'elle se dégrade de jour en jour ? Aux Electeurs-libres, nous penchons pour la deuxième hypothèse alors que rien ne justifie une telle évolution.
La constitution n'est pas appliquée
Selon Montesquieu, un régime qui ne respecte pas la séparation des pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire n'a pas de véritable constitution, mais que dire d'un pouvoir qui n'applique pas lui-même la constitution ? On nous dit qu'il s'agit d'une monarchie "républicaine" mais la monarchie constitutionnelle était beaucoup plus équilibrée. Nous observons en effet le président prendre toute une série de décisions, intervenir en permanence pour monter "au front" sur tous les terrains, qu'il s'agisse de la crise énergétique, agricole, migratoire, sécuritaire, extérieure, enseignante, sanitaire, toxicologique...
Personne ne relève le caractère incongru et surtout illégal de cette agitation permanente qui comprend des effets d'annonce (souvent sans suite effective) et relève de la communication, mais au détriment de l'action en profondeur du gouvernement dont c'est pourtant la fonction.
La vraie nature de l'exécutif
Il faut reprendre la genèse des régimes démocratiques pour comprendre comment ils fonctionnent : la source du pouvoir, c'est le peuple, mais comme les 40 millions d'électeurs ne peuvent siéger ensemble dans l'hémicycle, ils désignent des représentants chargés de voter les lois à leur place. Il faut ensuite s'assurer que ces lois sont correctement mises en application par l'administration, et comme les 577 députés ne peuvent le faire directement, ils désignent parmi eux des délégués chargés de le faire, c'est l'exécutif, qui comme son nom l'indique "exécute" les volontés du parlement et est responsable de son action devant lui.
La Vè République, régime parlementaire
La constitution de 1958 assigne à l'exécutif la mission de "définir et conduire la politique de la nation" et au premier ministre celle de "diriger l'action du gouvernement". Il n'est nulle part question du président de la république dans cet énoncé. Les qualificatifs attribués au président en font un "garant" et un "arbitre" plutôt qu'un "acteur". Lorsque les parlementaires interpellent le premier ministre ou ses ministres, il ne s'adresse pas au véritable décideur, mais à des représentants qui doivent faire l'exégèse en public de la "pensée" présidentielle en prenant le risque d'être démentis par un pouvoir parallèlle qui n'est pas responsable.
Le suffrage universel ne justifie pas tout
On dira que ce n'est pas grave, le président étant élu lui aussi; hé bien non, car cette dérive présidentielle aboutit mécaniquement à la dévalorisation du parlement puisqu'il n'est pas responsable devant celui-ci. L'autre conséquence en est que le président acteur central de l'arène politique se grille rapidement au détriment de sa fonction et que ses décisions de nomination, très nombreuses dans les principaux postes de direction du pays, sont suspectes de partialité et de politisation (on nomme les amis politiques plutôt que des professionnels compétents). D'où une perte de légitimité et de crédibilité qui atteint son apogée avec MACRON. La liste des emplois pourvus en conseil des ministres (voir la liste) en réalité à la discrétion du président ou de ses conseillers (non élus !) est interminable. Il n'y a que les régimes totalitaires pour concentrer autant de nominations entre les mains d'un seul homme.
La décentralisation moribonde
La décentralisation est confuse dans notre pays mais MACRON n'a eu de cesse d'aggraver la situation de dépendance des collectivités locales, notamment financière, en supprimant la taxe d'habitation, au mépris du principe d'égalité devant les charges publiques (ce sont les résidents secondaires qui paient pour les autres avec la surtaxe !). Le nouvel acte de décentralisation promis vers les régions n'a pas eu lieu car nous sommes en présence d'une caste de jacobins impénitents convaincus qu'ils sont les seuls à avoir des idées !
La démocratie sociale confisquée
La réforme des retraites, celle de l'assurance-chômage, la tentation de piquer les excédents des régimes complémentaires ARRCO manifestent la volonté de la bureaucratie d’État de tout contrôler et de s'approprier de nouveaux champs d'action et d'emplois. Il s'agit donc d'un mouvement contraire à la démocratie, car celle-ci ne relève pas seulement du suffrage universel, du pluralisme d'opinion et de la séparation des pouvoirs mais aussi d'une diffusion des pouvoirs dans la société en multipliant les centres de responsabilité et en les rapprochant des citoyens et personnes concernées.Nous rêvons d'un régime de démocratie sociale où ce ne serait plus le président de la république qui s'exprime publiquement sur les sujets de santé, de retraite, d'indemnisation du chômage, mais les présidents respectifs des conseils d'administration élus de la caisse nationale d'assurance-maladie, de la caisse de retraite concernée et de l'UNEDIC.
Notre liberté individuelle menacée
Au-delà de ces aspects collectifs, c'est tout ce qui ne relève pas de l’État qui est contesté par le pouvoir. L'autonomie des Français dans leur vie courante est ainsi de plus en plus menacée : l'enseignement privé est mis en accusation et doit se justifier, les propriétaires voient leurs droits se réduire, notre liberté d'expression, y compris dans la vie privée, est suspectée, on veut nous faire repasser le permis de conduire tous les 15 ans (liberté de circuler).Le pouvoir, n'arrivant pas à maîtriser les problèmes à la source, parce qu'il s'y prend mal, pense ainsi trouver des "solutions" faciles en créant des contraintes supplémentaires.