La théorie monétaire moderne
Par Jean Guicheteau
Qu'est-ce que la monnaie ? Est-elle un véritable actif, une richesse en soi, ou simplement un voile, qui n'a aucune valeur en dehors de ce qu'elle représente, des biens et des services acquis par le travail ?
De nombreuses théories monétaires ont essayé d'expliciter son véritable rôle, mais toutes partent du principe historique que c'est la division et la spécialisation du travail en différents métiers avec l'obligation d'échanger en découlant, qui a suscité la création de monnaies pour faciliter ces échanges.
Que le pouvoir politique apporte ensuite une garantie aux pièces de monnaie, notamment en ce qui concerne leur poids en métal précieux, ne change rien au fait que la monnaie répond d'abord à une nécessité PRIVEE : faciliter les échanges entre les hommes.
Toutes ? Non. Une nouvelle théorie monétaire moderne (TMM) conteste cette génèse de la monnaie et on comprend mieux pourquoi ensuite, car celle-ci ruine son postulat de base, qui est inversé. Sous prétexte qu'il serait impossible de retracer historiquement cette évolution progressive des biens physiques (alimentation, habillement, logement...) vers la monnaie et de retrouver le nom de son inventeur (mais connait-on l'inventeur du feu et celui de la roue ?), elle en inverse le principe : c'est l'Etat qui aurait créé la monnaie ex-nihilo et la distribuerait ensuite aux habitants pour qu'ils puissent lui payer des impôts !
L'Etat, dans cette théorie, très clairement exposée en France dans l'ouvrage traduit de Stéphanie KELTON, "Le mythe du déficit", prend en quelque sorte la place de Dieu. Or qu'est-ce qui caractérise Dieu ? Il est en dehors du système et dispose de tous les pouvoirs. Hé bien pour la TMM, l'Etat est dans la même situation. A condition d'avoir la main sur la création monétaire, ce qui n'est au passage pas le cas de la France dépendante de l'euro, mais franchement le cas des USA avec le dollar, il peut faire marcher la "planche à billet" quasiment sans limites (sauf le risque d'inflation) pour financer larga manu les dépenses de l'Etat et du système social. Plus besoin de se préoccuper de garantir l'avenir des retraites, plus de "réformes des retraites", cette expression ignoble, et d'angoisser les gens avec des prévisions apocalyptiques, l'Etat détenteur du pouvoir absolu et exclusif de créer la richesse y pourvoira ainsi qu'à la satisfaction de tous les "besoins".
Quels sont les inconvénients d'une telle démarche ? Outre un aspect moral (après tout pourquoi ne pas distribuer directement l'argent aux pauvres, c'est la monnaie "hélicoptère"), qui nie la responsabilité et l'effort, même justement réparti, les aspects économiques sont flagrants à 2 titres : d'une part cette création monétaire entraîne la création parallèlle de bulles financières, notamment dans les actifs (bourse, immobilier) avec les risques d'explosion à la clé et l'injustice sociale que cela implique, à rebours des intentions plutôt redistributrices de Mme KELTON. D'autre part, ce privilège financier exorbitant n'est attribué qu'à des pays qui disposent de la souveraineté monétaire (USA, GB, Japon) et dont les encaisses sont désirées par les autres pays, généralement exportateurs nets, puisque c'est eux, en quelque sorte, qui financent les déficits des heureux élus. Mais jusqu'à quand ?
Mme KELTON d'ailleurs se rend bien compte qu'il y a quelque chose qui cloche dans sa théorie révolutionnaire (au sens copernicien) quand elle précise que face à tout cet argent, distribué sans contrainte dans un premier temps, il faudra bien dans un deuxième temps, construire un système productif performant et adapté qui puisse constituer la contrepartie "réelle" de ces milliards de dollars, sous peine d'avoir arrosé le sable...
Avec cette théorie, on est certes payé en début de mois au lieu de l'être à la fin du mois. Mais il faut quand même faire le boulot.